Le soleil n'est encore qu'un songe qui fera monter le rose au front des dunes bien plus tard.
La voiture se dandine lentement sur le tapis ondulé de la piste, attentive, prudente, timide, coupable de troubler le silence bleuté. Trois guépards alanguis autour d'un buisson frais se lèvent nonchalamment, sans crainte, paresseusement. Leur mouvement élégant figure une corolle dont les pétales orangés s'écartent doucement du cœur végétal assoupi. Ils s'offrent un court instant à portée de nos filets voleurs de souvenirs puis fondent en diagonal dans la savane. Ai-je rêvé, quelques minutes? Le soleil ne me croira pas quand je lui raconterai qu'ils étaient là...
Il a grandi trop vite et ses jambes sont disproportionnées, trop longues, trop fines. Il semble trop étroit, cet escogriffe légèrement enivré, à la démarche sautillante et rarement rectiligne. Ses traces sur la piste sableuse divaguent, ignorant la monotone ligne droite, l'ennuyeuse efficacité du plus court chemin. Craintif, espiègle, amical, jamais agressif, l'intelligence et la ruse fusent de ses yeux. Il sait agacer les lions, comme un moustique une nuit chaude d'été. Il tournicote sans répit autour d'eux quand ils dévorent une proie, attendant que la lassitude l'emporte, et qu'ils lui abandonnent de beaux restes dont il fera bombance... lorsque le soleil a complètement fondu dans le chaudron surchauffé du Kalahari, il contemple la nuit prometteuse qui semble glisser jusqu'à lui, sur les vents de poussière sèche qui pique les yeux, irrite les nez, grimpe au ciel dans de longs tourbillons noirs...
Il est le petit prince du Kalahari (le chacal).
Matin. 8 heures ont sonné, vibré,trébuché sur les nids-de-poules de la piste, et dans ma tête. Le soleil mord déjà la peau pâlichonne du touriste que je suis, et même celles tannées des lions! Et ils sont là, les lions! Au bar, à sécher un godet après une nuit à hurler au loup, troublant mon sommeil déjà compliqué par le lit de camps instable, son armature métallique qui blesse, le duvet qui s’entortille autour de mes révolutions ronchonnantes.
Le vieux véhicule sympa déroule une longue traîne d’ombre à l’opposé des rayons jaunes acérés. Avec un naturel déconcertant mes compagnons de la chanson noctambules s’y affalent les uns après les autres, le ventre arrondi par la liqueur longuement lapée qui, à la fin, trompe leur faim.
Ça se prélasse, ça se détend les patounes, ça éternue un brin, çà se libère d’un pipi qui déforme le sable sous la pression du jet, à faire croire à l’insectologue novice qu’une curieuse bête a foré là son abri du jour.
Mais la nature tient à ses équilibres et, conséquence implacable, plus le soleil monte, plus la zone d’ombre se contracte. Les lions doivent régulièrement adapter leur architecture féline et se rencogner les uns contre les autres. «On» en arrive progressivement à se chevaucher, plaqué contre la voiture qui n’offre désormais plus qu’une mince aire de vague fraîcheur. On finit par vouloir carrément se glisser sous la caisse, en piétinant sans embarras les frangins et frangines, pour s’agglutiner en un tas brun-gris difforme, comme celui que formerait des miettes poussiéreuses de pain séché qu'une soubrette indolente aurait choisi de cacher sous le tapis du buffet à ustensiles. Là (et las), on finit par s’assoupir en vrai, et à courir après un springbok en rêve, comme en témoignent les coups de jarrets délivrés à l’horizontal, dans le vide, pour du beurre. Au moment où on finit par le choper, ce casse-croûte zigzagant, alors qu’on stoppe enfin la course, qu’on relève la tête pour savourer son triomphe et reprendre son souffle, la réalité, encore galopante, nous rattrape par le truchement de la barre de transmission qui nous assène un bon coup sonore sur le crane. Aie!
Moi dans le 4x4, jusqu'ici relaxe, Je décide de mettre le moteur en marche pour éloigner un peu ces canailles, craignant que le «blong» entendu ne soit plutôt, finalement, un pneu éclatant sous un coup de croc espiègle qu'un crane désormais bosselé! Je les connais, ces chatons! Ca les gondole de mordiller le caoutchouc, mais moi je ne m’imagine pas changer une roue, voire plusieurs, sous 45 degrés et leur regard goguenard!